Tandis
que les Troyens s'armaient dans la plaine, attendant l'attaque d'Achille et des
Grecs, Zeus convia tous les dieux à venir dans l'Olympe, et pas un fleuve, pas
une nymphe n'y manqua. Quand tous se furent assis sous les portiques du palais
de Zeus, Poséidon, l'Ébranleur du sol, se leva et parla en leur nom.
«Pourquoi donc, dieu de la foudre, nous as-tu
convoqués ici? As-tu quelque souci à propos des Troyens et des Grecs qui vont
reprendre le combat ?»
« Tu as compris, Ébranleur du sol, répondit Zeus. C'est d'eux que
je me préoccupe. Néanmoins, je resterai assis pour les observer dans un pli
de l'Olympe. Vous autres, vous pourrez aller porter secours à celui des deux
partis que vous voudrez. Car si Achille est laissé à lui-même, il est capable
de prendre la ville avant le temps fixé.»
Tous les dieux partirent aussitôt pour le champ de bataille. Héra,
Athéna, Poséidon, Hermès, le messager, et Héphaïstos se dirigèrent vers le
camp grec. Arès, Apollon, Artémis, sa sœur chasseresse, Latone, leur mère,
le fleuve Xanthe et la belle et souriante Aphrodite allèrent auprès des
Troyens.
Tant
que les dieux étaient absents, les Grecs triomphaient parce qu'Achille avait
reparu. Mais à présent, quand Athéna poussa son cri de guerre. Arès se mit
lui aussi à crier pour encourager les Troyens.
Zeus tonna du haut des airs; Poséidon ébranla la
terre et les cimes des monts. La ville des Troyens et les vaisseaux des
Grecs tremblèrent pareillement. Le roi de ceux qui sont sous terre prit
peur et sauta de son trône. Maintenant Artémis se dressait en face d'Héra,
Hermès en face de Latone, et Xanthe en face
d'Héphaïstos. C'est ainsi que les dieux affrontaient les dieux.
Achille cependant bondissait à travers les rangs, en encourageant chacun
des guerriers. Hector, de son côté, exhortait les Troyens, en leur disant de
marcher contre Achille.
Apollon s'approcha alors et lui dit : « Ne
t'avance pas pour affronter Achille; sans quoi il te frappera de sa lance ou de
son épée. »
Là-dessus, Hector se replongea dans la foule, jusqu'au moment où il vit
Polydore abattu par Achille. Polydore était le plus jeune fils de Priam et
celui qu'il aimait le plus. Il triomphait de tous à la course. Son père lui
avait défendu de se battre, parce qu'il était trop jeune. Mais ce jour-là,
poussé par une puérile vanité, il se précipita à travers les rangs des
combattants, jusqu'à ce qu'il perdît la vie.
Hector, dès
qu'il vit
que son
frère Polydore s'effondrait
au sol, les mains crispées sur sa blessure, sentit ses yeux s'embrumer. Il
n'eut pas le cœur de rester plus longtemps à l'écart. Pareil à la flamme, il
s'élança sur Achille en brandissant sa lance.
Achille bondit au-devant de lui, en criant : « Voici l'homme qui a tué
mon plus cher ami ! Nous avons fini de nous terrer l'un devant l'autre sur tout
le champ du combat. Viens donc plus près, pour arriver plus vite au terme de la
mort ! »
Hector lui répondit calmement : « Ne crois pas m'effrayer par des mots,
Achille. Je sais que tu es le plus brave et le plus fort. Mais tout ceci repose
sur les genoux des dieux. Ils peuvent me laisser t'arracher la vie d'un coup de
lance, car mon trait aussi est
perçant.»
A ces mots, il brandit sa pique et la lança. Mais Athéna, d'un souffle,
la détourna du glorieux Achille.
Elle perdit toute sa force et tomba aux pieds d'Hector.
Achille s'élança avec sa pique, mais Apollon déroba Hector sous une
brume épaisse. Trois fois Achille s'élança contre lui, et trois fois il
frappa la brume profonde.
« Une fois de plus, chien, tu viens d'échapper à la mort, cria Achille
en s'élançant à nouveau. Mais je t'exécuterai à un autre moment, pourvu
qu'un dieu me vienne en aide. Pour l'instant, je vais m'en prendre à
d'autres.»
Et Achille s'élança à travers les rangs, pareil à l'incendie qui
ravage la forêt, lorsque le vent chasse les flammes en les faisant tournoyer.
Il allait en tous sens, pareil à un dieu, jusqu'à ce que la terre fût
inondée de sang.
A ce moment la querelle entre les dieux éclata avec violence. Ils se
jetèrent les uns sur les autres avec un grand fracas. La terre et le ciel
retentirent. Zeus entendit le bruit dans son Olympe. Il rit de voir Athéna
frapper Arès d'une pierre au cou, pour se venger de ses insultes : le voilà
étendu, les cheveux dans la poussière. Comme Aphrodite essayait de l'emmener
loin du combat, Athéna la frappa en pleine poitrine, de sa forte main, et la
fit tomber par terre.
Héra, la déesse aux bras blancs, sourit. Mais
quand elle entendit Artémis reprocher à Apollon de ne pas se battre contre le
vieux Poséidon, elle lui enleva
son arc et, avec cette arme, elle se mit à la frapper tout auprès des
oreilles. La pauvre Artémis s'enfuit, toute en larmes, et alla se réfugier
dans les bras de Zeus, son père. Sa mère Latone ramassa l'arc et les flèches
pour les lui rapporter.
Alors les dieux retournèrent dans l'Olympe, fatigués du combat. Seul
Apollon resta. Il pénétra dans Troie, craignant qu'en dépit du destin,
Achille ne prît la ville le jour même.
Le vieux Priam, du haut du rempart,
regardait le grand Achille qui mettait les Troyens en déroute. Il descendit en
gémissant vers les portes. Il ordonna aux sentinelles de les ouvrir toutes
grandes jusqu'au moment où les troupes en fuite seraient rentrées à l'abri.
Les
portes ouvertes offraient aux fuyards leur seule chance de salut. Apollon
s'élança à leur rencontre, tandis qu'épuisés, ils fuyaient vers la ville,
toujours suivis par Achille.
Alors Apollon
détourna Achille de la
ville, en prenant les traits d'un Troyen et en courant devant lui à très peu
de distance, en direction du Xanthe.
Pendant ce temps, les Troyens, apeurés comme des faons, faisaient
irruption dans la ville. Ils n'avaient même pas osé s'attendre les uns les
autres hors de la ville et du rempart, pour
savoir qui avait échappé
et qui était mort au combat.
Seul, Hector restait, par la volonté du destin, en dehors de la ville,
devant les portes Scées.