Voyant
jaillir près des vaisseaux le feu dévorant, Achille se frappa les cuisses et
dit à Patrocle :
«
Revêts vite mes armes, tandis que je rassemble les hommes. Nous
ne devons
pas laisser
l'ennemi nous couper la retraite.»
Patrocle revêtit donc aussitôt les armes d'Achille : les jambières
avec les couvre-chevilles
d'argent, la cuirasse
scintillante, l'épée à clous d'argent, le bouclier grand et fort. Il mit sur
sa tête le casque à panache et prit à la main deux lances. Il ne laissa
qu'une arme d'Achille, la longue et lourde pique que nul ne pouvait manier.
Il fit atteler les immortels chevaux de son ami,
tandis qu'Achille ramenait de leur camp les Myrmidons en armes. Conduits par
Patrocle, ils avancèrent au combat en rang serrés, bouclier contre bouclier,
casque contre casque et homme contre homme.
Achille, lui, offrit un sacrifice à Zeus, en le
priant pour le succès de Patrocle et son heureux retour.
Patrocle et ses hommes marchèrent jusqu'au moment
où ils rencontrèrent les Troyens. Puis ils fondirent sur eux, comme un essaim
de guêpes, et une immense clameur retentit jusqu'aux vaisseaux. Les Troyens,
voyant Patrocle dans son armure brillante, à la tête des Myrmidons, crurent
qu'Achille était de retour au combat, et chacun chercha à s'enfuir. Ils quittèrent
les vaisseaux en flammes et les Myrmidons eurent tôt fait d'éteindre
l'incendie.
Puis Patrocle, suivi de tous les Grecs, se jeta sur
les Troyens. Ceux-ci, oubliant leur vaillance, ne songèrent plus qu'à la
fuite.
Mais Patrocle cherchait maintenant à couper les Troyens, à les refouler
vers les vaisseaux. Il ne leur permettait pas de trouver refuge dans la ville.
C'est entre les vaisseaux, le fleuve et le mur élevé qu'il les chargeait et
massacrait en foule.
Cependant Zeus s'interrogeait sur le sort de
Patrocle. Laisserait-il, dès ce moment, Hector le tuer et le dépouiller des
armes d'Achille? Enfin il décida de permettre à Patrocle de repousser les
Troyens vers leur ville et d'en tuer un grand nombre.
Aussitôt, il fit faiblir le courage d'Hector. Montant sur son char,
Hector se tourna vers la fuite et exhorta les autres à fuir. Car il avait
reconnu de quel côté penchait la balance sacrée de Zeus.
Alors Patrocle, aveuglé par sa victoire et désobéissant à l'ordre
d'Achille, se mit à poursuivre les Troyens. L'insensé ! S'il avait fait ce que
lui conseillait Achille, il aurait pu échapper ce jour-là à la noire mort.
Mais telle n'était pas la volonté de Zeus.
Un moment, il sembla même que Patrocle pourrait prendre Troie. Par trois
fois il mit le pied sur le rempart. Mais Apollon le repoussa et lui dit que la
ville ne devait pas être prise par lui ni même par Achille.
A ce moment, Hector venait de s'arrêter aux portes
Scées. Apollon, sous les traits d'un parent d'Hector, l'invita à rejoindre
Patrocle. Hector lança ses chevaux vers lui. Patrocle sauta de son char, saisit
une pierre et la lança, frappant mortellement le cocher d'Hector. Puis il
bondit sur lui. Hector, de son côté, sauta de son char. Alors, ils
combattirent autour du corps, et, quoique Patrocle n'en sût rien, déjà
apparaissait le terme de sa vie.
Car Apollon, caché dans une nuée de façon à n'être
pas vu de Patrocle, le frappa du plat de la main au milieu des épaules. Les
deux yeux du héros furent pris de vertige. Le casque d'Achille roula dans la
poussière. Patrocle chancela. C'est alors qu'un guerrier troyen le frappa dans
le dos avec sa lance, mais ce coup ne l'abattit pas. Au moment où Patrocle se
repliait sur le groupe des siens, Hector le frappa un grand coup au ventre, et
Patrocle tomba avec fracas.
Hector
se mit à exulter devant l'adversaire abattu.
« Enorgueillis-toi si tu veux, dit Patrocle d'une voix défaillante,
mais je te dis, Hector, que tu n'as plus longtemps à vivre. Voici venir la mort
qui te domptera par les mains d'Achille.»
Comme il parlait, la mort interrompit son discours. Et son âme s'en fut
chez Hadès, pleurant sur son destin, quittant
la force et la jeunesse.