Maintenant,
le combat se déroulait près du fossé et du mur qui protégeaient le camp des
Grecs. Lorsque les Grecs avaient bâti ce large mur, ils avaient oublié
d'offrir des sacrifices aux dieux : aussi ne devait-il pas rester
longtemps debout. Mais, à ce moment-là, il se dressait encore, tandis que la
bataille faisait rage à l'entour et que les bois du rempart résonnaient sous
les coups.
Pendant que les Grecs se tenaient apeurés auprès de leurs vaisseaux,
Hector allait et venait dans les rangs, pressant ses hommes de franchir le
fossé. Mais les chevaux n'osaient
pas ; ils poussaient de forts hennissements, effrayés qu'ils étaient par la
largeur du fossé. C'est qu'il n'était pas facile à franchir, car le bord
opposé était garni de pieux pointus.
« Pourquoi ne pas laisser nos chevaux sur le bord du fossé ? suggéra
un Troyen à Hector. Puis nous te suivrons à pied et porterons la mort aux
Grecs, si telle est la volonté des dieux. »
Cela parut à Hector un excellent avis. Aussitôt, il sauta de son char,
tout en armes. Les autres Troyens l'imitèrent. Puis ils se formèrent en cinq
corps. Le brave Hector prit la tête des troupes, et ses hommes le
suivirent en poussant une clameur prodigieuse.
Les Troyens, confiants dans la protection des dieux et dans leurs propres
forces, franchirent le fossé et s'attaquèrent au mur. Ils cherchaient à tirer
les corbeaux des tours, à faire crouler les parapets, et à soulever les
piliers boutants, espérant ainsi enfoncer le rempart.
Mais les Grecs n'étaient pas encore prêts à les laisser passer. De
leurs boucliers, ils renforçaient les parapets, et tiraient de là sur les
ennemis qui s'avançaient sous la
muraille.
Ainsi, les chances du combat s'équilibraient pour eux, jusqu'au moment
où Zeus donna une gloire plus éclatante à Hector, qui le premier sauta sur le
mur des Grecs.
«A l'assaut, Troyens ! cria-t-il à ses compagnons. Enfoncez le mur et
mettez le feu aux vaisseaux. »
Tous les Troyens l'entendirent et se jetèrent sur le mur. Mais Hector
fit plus encore. Près de la porte, il saisit une
énorme pierre, large à la base et pointue au sommet. Deux hommes
n'auraient pu aisément la charger sur un char. Mais Zeus la lui rendit
légère.
Il
la lança contre les vantaux de la porte que verrouillaient deux
barres.
Les vantaux volèrent en éclats, les gonds sautèrent et la porte
s'abattit dans un fracas épouvantable.
Hector bondit dans le camp, son visage pareil à la
nuit. Son corps brillait de l'éclat du bronze, et il tenait deux lances à la
main. Seul un dieu eût pu l'affronter, quand il pénétra dans le camp, criant
aux Troyens de le suivre. Aussitôt les uns escaladèrent le mur, les autres
franchirent la porte. Les Grecs
s'enfuirent parmi les vaisseaux, et un tumulte sans fin s'éleva.
A ce moment, Nestor, quittant sa baraque, rencontra les rois blessés,
Diomède, Ulysse et Agamemnon, qui revenaient de leurs vaisseaux, fort loin de
la bataille. Car le rivage, tout vaste qu'il était d'un cap à l'autre cap,
n'avait pu contenir tous les vaisseaux : aussi, les avait-on tirés sur
plusieurs lignes. Ainsi donc les rois, désireux de voir la bataille,
avançaient ensemble, s'appuyant sur leur lance, l'âme affligée au fond de
leur poitrine.
En voyant le mur écroulé et les Troyens à l'intérieur du camp,
Agamemnon fut découragé. « Tirons à l'eau les vaisseaux qui sont le plus
près de la mer, puis mouillons-les au large, dit-il. Ensuite nous pourrons, de
nuit, tirer à l'eau les autres vaisseaux. »
« Insensé,
lui répondit Ulysse, tais-toi de peur qu'un Grec n'entende ces paroles, et
alors tout sera réellement perdu. C'est une armée de lâches que tu devrais
conduire, si tel est ton projet.»
« Tes paroles sont dures, Ulysse, mais c'est toi qui as raison, reconnut
Agamemnon. Je ne donnerai pas l'ordre aux Grecs de tirer les vaisseaux à la
mer. Mais si quelqu'un a un avis meilleur, écoutons-le.»
« II faut marcher au combat, dit le brave Diomède. Nous nous tiendrons
à l'écart, étant blessés, mais nous pourrons encourager les autres.»
Ils partirent donc, et, en chemin, ils rencontrèrent Poséidon, sous les
traits d'un vieillard. Le dieu adressa à Agamemnon des paroles de réconfort et
redonna courage aux Grecs. Ceux-ci repoussèrent les Troyens jusqu'au moment où
Zeus envoya Apollon pour jeter la panique parmi les Grecs.
Tandis
que les Grecs étaient, une fois de plus, acculés à leurs vaisseaux, Patrocle
arriva, tout en larmes, vers Achille.
« Mon cher Patrocle, dit Achille, pourquoi pleures-tu ? On croirait voir
une fillette, qui court à côté de sa mère et s'accroche à sa robe : elle
pleure et veut qu'on la prenne. Qu'y a-t-il donc? Aurais-tu reçu quelque
message de notre pays? Ou est-ce sur les Grecs que tu te lamentes? Ils souffrent
pourtant par leur propre faute.»
« Oh ! Achille, soupira Patrocle, ne m'en veuille pas. Trop grand est le
malheur des Grecs : les meilleurs d'entre eux sont blessés. Si ton cœur est à
ce point cruel que tu ne veux pas renoncer à ta colère, laisse-moi du moins
emmener les Myrmidons et revêtir tes propres armes, pour essayer de sauver les
Grecs. » Ainsi implorait-il, le pauvre fou, sa propre mort. Et le fier Achille
lui répondit par ces mots :
« Sans doute as-tu raison : je ne devrais pas toujours garder cette
colère. Je pensais attendre que la rumeur du combat arrive près de mes
vaisseaux. Mais va, prends mes armes et conduis au combat nos braves Myrmidons,
puisque les Troyens, comme un nuage sombre, assiègent nos vaisseaux et que les
Grecs sont acculés au rivage.
« Va, tombe sur eux avec ardeur. Sauve nos
vaisseaux, et procure-moi une grande gloire. Mais quand tu auras écarté
l'ennemi des vaisseaux, reviens tout de suite. Même si Zeus t'offre de
remporter la victoire, tu ne devras pas combattre et amoindrir ma gloire. Ne va
pas jusqu'aux murs de la ville, de crainte qu'Apollon qui aime chèrement les
Troyens ne se mette sur ta route. Reviens
donc, dès que tu auras sauvé les vaisseaux. »
Or, pendant qu'Achille et Patrocle parlaient, Ajax qui défendait son
grand vaisseau, se trouvait être à bout de forces. Son casque résonnait sous
les coups, son épaule gauche se fatiguait à porter son bouclier. Son souffle
était haletant et la sueur ruisselait sur son corps. Toutefois, les Troyens
n'arrivaient pas à l'ébranler.
Et voici maintenant comment le feu se mit à prendre sur les vaisseaux.
Hector, s'arrêtant près d'Ajax, frappa de sa
grande épée la lance du héros et la brisa net. Ajax comprit que Zeus était
contre lui. Il recula hors de portée des traits. Les Troyens
alors lancèrent
leurs brandons. Les flammes
enveloppèrent d'abord la poupe et, au bout d'un moment, le feu flambait sur tout le
navire.