L’Aurore
se levait de son lit pour porter la lumière aux hommes et aux dieux lorsque
Zeus envoya vers les vaisseaux des Grecs l'affreuse Discorde. Elle s'arrêta sur le vaisseau noir d'Ulysse et
poussa un cri puissant et terrible. On l'entendit jusqu'aux extrémités du
camp, et il remplit les hommes de vaillance.
Agamemnon lui-même lança l'appel de guerre. Puis il mit ses jambières
et revêtit sa poitrine de la cuirasse que lui avait envoyée le roi de Chypre,
à la nouvelle de l'expédition de Troie. Il ceignit son épée où brillaient
des clous d'or et qu'enfermait un fourreau d'argent. Puis il prit son grand
bouclier : on voyait sur les bords dix cercles de bronze et, au centre, vingt
bossettes d'étain. Sur sa tête, il mit un casque à deux cimiers : un
effrayant panache oscillait au sommet. Et, tenant en mains deux piques à pointe
de bronze, le roi de Mycènes la riche s'avança au combat.
Les deux armées étaient pareilles à deux rangées de moissonneurs
devant qui tombent les épis. Ainsi se massacraient les Troyens et les Grecs, en
se jetant les uns sur les autres. Tout le matin, tant que le soleil monta à
l'horizon,
les flèches volèrent des deux côtés et les guerriers tombèrent en foule.
Mais à l'heure où le bûcheron se lasse de couper des arbres dans la montagne
et songe à prendre son repas, à cette heure les Grecs enfoncèrent brusquement
les rangs ennemis.
Au
plus fort du combat se trouvait Agamemnon, appuyé par d'autres Grecs. Les
fantassins tuaient les fantassins, les meneurs de chars tuaient les meneurs de
chars, tandis que les pieds retentissants des chevaux soulevaient un grand nuage
de poussière. Agamemnon tuait, massacrait sans répit. Comme tombent les arbres
de la forêt sous les flammes de l'incendie, ainsi tombaient les Troyens sous
les coups d'Agamemnon.
Par delà l'antique tombeau d'Ilos, au milieu de la plaine, par delà le
figuier sauvage, en direction de la ville, Agamemnon poursuivait toujours les
Troyens, les mains souillées de poussière et de sang. Ils arrivèrent aux
portes Scées et au chêne. Alors, les Troyens auraient été repoussés
jusqu'à leurs remparts, si Zeus n'eût chargé Iris de porter un message à
Hector.
«Dis
à Hector qu'aussi longtemps qu'Agamemnon sèmera la mort à la tête de son
armée, il s'abstienne de combattre. Mais quand Agamemnon, blessé par une lance
ou une flèche, sautera sur son char, je donnerai à Hector la force de
repousser les Grecs vers leurs vaisseaux, jusqu'à la tombée de la nuit. »
Ainsi parla Zeus à Iris.
Dès qu'Iris eut transmis son message et fut repartie, Hector sauta de
son char. Brandissant ses piques aiguës, il rallia ses hommes. Mais il évita
Agamemnon, ainsi que Zeus le lui avait conseillé.
Agamemnon, comme toujours, était-le premier. Et, au moment où Agamemnon
venait d'abattre un Troyen d'un coup d'épée, voici qu'un autre Troyen le
frappa de côté, au-dessous du coude, et la pointe de la lance perça le bras
de part en part. Un frisson saisit
Agamemnon, mais il n'en continua pas moins de combattre.
Tant que le sang coula de la blessure, Agamemnon ne cessa pas de
combattre. Mais, quand le sang commença de sécher, Agamemnon ressentit de
vives douleurs. Il monta sur son char, en exhortant ses compagnons à continuer
la lutte.
Hector voyant qu'Agamemnon s'éloignait, blessé,
cria d'une voix forte :
« Troyens et alliés ! II s'en est allé, le meilleur de leurs
guerriers. Zeus nous a donné la victoire. Allons, poussez vos chevaux droit
vers les vaisseaux.»
Ainsi
Hector excitait le courage des Troyens. Puis il se jeta dans la bataille, pareil
au souffle violent d'une rafale qui s'abat sur la mer. Quels furent les
premiers, et quels furent les derniers qu'immola Hector?
Ils seraient trop nombreux à nommer.
A
ce moment, un désastre complet menaçait les Grecs qui étaient repoussés vers
leurs vaisseaux. Tous leurs chefs étaient sérieusement blessés. Diomède fut
atteint au pied par une flèche de Paris. Une lance troyenne perça le bouclier
et la cuirasse d'Ulysse et lui entailla la peau du côté. Le grand Ajax
lui-même dut faire retraite en direction des vaisseaux.
Enfin, une flèche de Paris mit hors de combat le grand médecin Machaon.
Nestor, le voyant blessé, se porta immédiatement à son secours. Bientôt les
chevaux de Nestor, suant et haletant, emportaient les deux hommes vers les
vaisseaux creux.
Achille était debout à la poupe de son navire, contemplant la déroute
des Grecs. Quand il vit arriver le
char de Nestor, il s'adressa à son ami Patrocle.
« Maintenant enfin je vais voir les Grecs à mes genoux, dit-il, car ils
sont en mauvaise posture. Va demander à Nestor quel est l'homme qu'il ramène.
De dos, il ressemble fort à Machaon; mais je n'ai pas vu nettement son visage.
Je veux le savoir, car un médecin qui peut guérir la blessure d'une flèche
vaut beaucoup de combattants.»
Patrocle alors se mit à courir le long des baraques et des vaisseaux. Le
char de Nestor était maintenant arrivé à sa baraque. Les deux hommes firent
sécher la sueur de leurs tuniques, debout sous la brise, près du rivage de la
mer. Puis ils rentrèrent.
Juste à ce moment, Patrocle parut à la porte. Nestor l'invita à
s'asseoir, mais Patrocle refusa en disant :
« Achille m'a envoyé demander quel était le blessé que tu ramenais.
Mais je reconnais Machaon, le pasteur d'hommes. Je vais vite rapporter la
nouvelle à Achille, car tu sais comme il est prompt à la colère.»
« Pourquoi
donc Achille plaint-il tant un homme blessé? lui répondit Nestor. Ne sait-il
rien du deuil qui s'abat sur l'armée? Les meilleurs sont blessés : Agamemnon,
Diomède, Ulysse. Achille ne s'en soucie guère, tout brave qu'il soit.
Attend-il que nos vaisseaux soient brûlés ?
« Tu dois te souvenir, Patrocle, des
recommandations que te faisait ton père, à ton départ pour la guerre. « Mon
fils, disait-il, Achille est plus fort et plus noble que toi. Mais tu es plus
âge. Tu dois le conseiller. » Voilà les recommandations de ton père. Les
as-tu oubliées ?
« Tu es l'ami d'Achille. Peut-être pourras-tu le
persuader. Ou peut-être t'enverra-t-il, avec ses propres armes, toi et les
Myrmidons. Alors les Troyens, voyant des troupes fraîches et croyant que c'est
Achille qui les conduit, renonceront à se battre et laisseront les nôtres
reprendre haleine. »
Patrocle fut touché par le discours de Nestor. Il se mit à courir le
long des vaisseaux pour aller retrouver Achille.