Tandis
que les Troyens se gardaient ainsi, les Grecs étaient en proie à une folle
panique. Agamemnon allait et venait, le cœur broyé de chagrin. Quand il
eut convoqué les hommes à l'assemblée, il se tourna vers eux, le
visage baigné de larmes.
«Mes amis, leur dit-il, Zeus a été très cruel envers moi. Il m'avait
jadis promis que je détruirais les remparts de Troie, et voici qu'il m'invite
à rentrer sans gloire à Argos, après avoir perdu tant d'hommes ! Eh bien ! si
tel est le bon plaisir de Zeus,. fuyons sur nos vaisseaux tandis que nous le
pouvons, car sûrement nous ne prendrons plus Troie. »
II dit. Tous demeuraient silencieux et cois. Enfin Diomède prit la
parole.
« Agamemnon, dit-il, je dois te dire devant tous que ton avis est
insensé. Pars si tu veux. Voici la mer, voici les vaisseaux — toute cette
flotte que tu as amenée de Mycènes. Mais nous, les autres Grecs, nous
resterons ici, jusqu'à la prise de Troie. Et s'ils veulent partir aussi, mon
cocher et moi, nous resterons ici, pour faire la volonté du ciel. »
Tous applaudirent Diomède. Puis, Nestor se leva et leur dit :
« Tu as fort bien parlé, Diomède. Mais c'est à moi, qui suis plus
âge que toi, d'achever et de dire tout. Préparons d'abord le repas : nous
avons tout ce qu'il nous faut. »
Quand ils eurent tous bu et mangé, Nestor reprit la parole.
« Glorieux Agamemnon, dit-il, il serait encore temps de faire la
paix avec Achille, héros aimé des dieux. En cédant à ton cœur orgueilleux,
tu lui as fait affront. Tu pourrais le fléchir par des dons agréables et de
douées paroles. »
« Tu dis vrai, répliqua Agamemnon. J'étais insensé, je ne le nie pas.
Maintenant, mon seul désir est de faire la paix avec lui. Et voici ce que je
veux lui offrir : sept trépieds neufs, dix lingots d'or, vingt superbes
chaudrons, douze chevaux de course et sept femmes habiles à l'ouvrage que nous
avons ramenées de Lesbos. Je lui rendrai Briséis, sa captive, et si nous
prenons la ville de Troie, il aura sa part de butin. »
«Voilà ce que je lui donnerai, s'il renonce à sa colère. Car, à coup
sûr, un homme que les dieux aiment tant vaut toute une armée.»
Nestor lui répondit : « Glorieux Agamemnon, tu n'offres pas à Achille
des présents qui soient à dédaigner. Choisissons
donc des
envoyés pour
les porter. Dépêchons le
grand Ajax et le divin Ulysse.»
Ce
choix fut approuvé de tous.
Tandis
qu'ils marchaient le long du rivage, Ajax et Ulysse adressaient maintes
prières à Poséidon, le dieu de la mer, afin qu'il leur permît de
fléchir aisément l'âme hautaine d'Achille.
Quand ils arrivèrent aux baraques des Myrmidons, ils trouvèrent
Achille jouant de la cithare, une belle cithare surmontée d'une traverse
d'argent. Et il chantait pour son ami Patrocle et pour lui-même les
exploits des héros.
A l'approche des deux envoyés, Achille se leva d'un bond. Il les
salua et les fit asseoir sur des sièges et des tapis de pourpre.
«Maintenant, Patrocle, dit-il, apporte du bon vin et des coupes à
chacun, car ces hommes sont mes meilleurs amis.»
Patrocle obéit à son compagnon. Achille alors, à la lueur du
feu, se mit à découper des viandes ; il les enfila sur des broches et
les fit rôtir sur la braise. Patrocle distribua le pain, tandis
qu'Achille servait les viandes.
Quand ils eurent mangé et bu, Ulysse leva sa coupe et dit :
« A ta santé, Achille ! Les bons repas ne nous ont pas manqué
aussi bien dans la baraque d'Agamemnon qu'ici même aujourd'hui. Mais ce
n'est pas d'un festin que nous avons cure. Notre souci est de savoir si
nous sauverons ou perdrons nos vaisseaux ... à moins que tu ne reviennes
combattre avec nous. Les Troyens ont établi leur camp tout près des
vaisseaux et du mur ; ils croient que nous ne tiendrons plus et que nous
allons nous jeter sur nos vaisseaux. Lève-toi donc, si tu veux sauver les
tiens.
«Maintenant,
Patrocle, dit-il, apporte du bon vin et des coupes à chacun, car ces
hommes sont mes meilleurs amis.»
Patrocle obéit à son compagnon. Achille alors, à la lueur du
feu, se mit à découper des viandes ; il les enfila sur des broches et
les fit rôtir sur la braise. Patrocle distribua le pain, tandis
qu'Achille servait les viandes.
|
 |
Quand
ils eurent mangé et bu, Ulysse leva sa coupe et dit :
« A ta santé, Achille ! Les bons repas ne nous ont pas manqué aussi
bien dans la baraque d'Agamemnon qu'ici même aujourd'hui. Mais ce n'est pas
d'un festin que nous avons cure. Notre souci est de savoir si nous sauverons ou
perdrons nos vaisseaux ... à moins que tu ne reviennes combattre avec nous. Les
Troyens ont établi leur camp tout près des vaisseaux et du mur ; ils croient
que nous ne tiendrons plus et que nous allons nous jeter sur nos vaisseaux.
Lève-toi donc, si tu veux sauver les tiens.
« Souviens-toi que ton père, le jour de ton
départ, te mettait en garde contre l'orgueil et les querelles. Il n'est pas
trop tard pour changer, car nous venons de la part d'Agamemnon t'offrir les plus
riches présents, si tu renonces à ta colère.»
Puis,
Ulysse lui énuméra les présents, l'or et les chevaux, les femmes habiles à
l'ouvrage, et tout le reste.
Mais
Achille ne fut pas ébranlé par ces promesses.
«Je dois te déclarer exactement ce que je pense, dit-il. Je hais cet
homme du fond du cœur. Je suis las d'avoir passé tant de nuits d'insomnie et
tant de jours sanglants
pour son
seul avantage. Pourquoi
faut-il que les Grecs combattent les Troyens? Pour Hélène? Agamemnon et
Ménélas sont-ils les seuls hommes ici à aimer leurs femmes? Tout homme bon et
sensé aima la sienne, comme moi j'aimais la mienne de tout cœur, bien qu'elle
fût captive.
« M'offrît-il tous les trésors de Delphes et de
Thèbes, Agamemnon ne saurait me persuader. Car, pour moi, la vie vaut plus que
tous les trésors du monde. On peut enlever des bœufs et des moutons, acheter
de l'or et des chevaux, mais la vie d'un homme ne se ressaisit pas,
une fois qu'elle a
franchi la barrière des dents.
«
Ma mère Thétis m'a montré deux chemins : ou bien rester ici à Troie et
mourir en gagnant une gloire immortelle, ou bien vivre dans ma patrie de longues
et paisibles années. C'est là ce que je ferai. Et je vous conseille de vous en
retourner pareillement. Car Zeus étend son bras sur cette ville, et jamais vous
ne verrez la fin de la haute Ilion.
« Allez porter mon message à vos princes, afin
qu'ils trouvent un moyen meilleur que celui-ci de sauver leurs vaisseaux et
leurs hommes.»
Quand Achille eut fini, les envoyés, prenant tour à tour la coupe à
deux anses, firent une libation. Puis ils s'en retournèrent en longeant les
vaisseaux. Ulysse était en tête.
Quand ils arrivèrent dans la baraque d'Agamemnon, les Grecs se levèrent
de tous les côtés, les saluèrent de leurs coupes d'or et se mirent à les
questionner.
« Glorieux Agamemnon, dit Ulysse, Achille refuse tous tes présents. Il
est plus loin que jamais de céder. Il menace de prendre la mer dès l'aube, et
nous conseille d'en faire autant.»
Tous restèrent silencieux, frappés de ce discours. Diomède enfin prit
la parole.
«Laissons-le s'en aller ou rester à son gré, dit-il. Mais pour nous,
allons nous reposer, et, dès l'aurore, conduisons nos hommes au combat, et
inspirons-leur, par notre exemple, une conduite héroïque. »
Tous
applaudirent ces paroles, puis ils se couchèrent et s'endormirent.
|