S’inquiétant
des moyens de faire périr beaucoup de Grecs sur le champ de bataille pour la
gloire d'Achille, Zeus pensa que le mieux serait d'envoyer à Agamemnon le Songe
pernicieux. Il l'appela donc et l'envoya dire au roi Agamemnon que la victoire
était toute proche.
Le Songe partit aussitôt pour le camp. Il trouva
Agamemnon endormi dans sa baraque.
« Tu dors ? lui dit-il. Ce n'est pas le moment de dormir, quand les
immortels ont enfin décidé que tu t'emparerais de Troie aux larges rues. »
Puis
le Songe s'en retourna et Agamemnon s'éveilla, croyant toujours entendre cette
voix. Il se leva rapidement. Il revêtit une belle tunique neuve, s'enveloppa de
son manteau, attacha ses sandales et ceignit son épée. Il prit ensuite son
sceptre royal et se rendit auprès des vaisseaux.
Il convoqua d'abord le Conseil des vieillards, pour
leur donner les fausses bonnes nouvelles. Puis ce fut le tour des soldats. Comme
un énorme essaim d'abeilles, les hommes sortirent de leurs baraques sur le
rivage. Si grand était le tumulte qu'il fallut neuf hérauts, à grands cris,
pour les apaiser de façon que leurs rois puissent être entendus.
Quand enfin ils furent tous assis, Agamemnon se
leva, appuyé sur son sceptre. « 0 mes amis, héros de la
Grèce, leur dit-il. Bientôt la ville du roi Priam succombera, prise et
détruite par nos bras. Cela ne saurait tarder un jour de plus. Mais d'abord,
allez au repas et préparez-vous au combat.
« Aiguisez vos lances, ajustez vos boucliers, donnez à manger à vos
chevaux et veillez à ce que vos chars soient prêts pour l'action. Car
ce sera
une rude
journée. Nous
combattrons sans trêve, jusqu'à ce que la sueur fasse coller le
baudrier sur votre poitrine, et que votre main se lasse du javelot. Quant à
celui qui restera à traîner près des vaisseaux, il sera la pâture des
oiseaux et des chiens. »
Les Grecs accueillirent ce discours en poussant une grande clameur,
pareille au grondement de la vague qui se brise sur les rochers du rivage. Puis
les hommes se dispersèrent à travers les vaisseaux, pour allumer les feux et
prendre leur repas. Chacun fit une offrande à son dieu favori, le priant
d'être encore en vie quand la bataille se
terminerait le soir.
Agamemnon fit aussi son sacrifice à Zeus : il lui
immola un bœuf gras de cinq ans. Et il pria pour que Troie tombât le jour
même, et que son héros Hector roulât dans la poussière avec ses compagnons.
Zeus accepta le sacrifice. Mais il n'exauça pas la
prière, car il réservait aux Grecs, ce jour-là, la mort et la souffrance.
Le
repas terminé, Agamemnon donna l'ordre aux hérauts à la voix sonore d'appeler
les Grecs au combat. Aussitôt les hommes se répandirent hors de leurs
vaisseaux et de leurs baraques et se groupèrent par pays et par clan. Les rois
rangèrent leurs troupes en ordre de bataille, là, dans la plaine du Xanthe.
Et, grâce à Zeus, on voyait Agamemnon se distinguer des autres, comme un
taureau dans un troupeau de vaches.
Les
hommes avançaient dans l'étincellement du bronze qui brillait comme un feu de
forêt sur la montagne. Et le sol résonnait sous leurs pas.
Zeus avait envoyé à Troie Iris, rapide
messagère, sous la forme d'un guetteur troyen. Elle trouva les Troyens réunis
à la porte du palais de Priam, et là elle s'adressa au roi Priam et à son
fils Hector.
« Vieillard, dit-elle à Priam, tu es encore ici à parler, comme si
nous étions en temps de paix. Mais une lutte à mort va se livrer, car à
présent une armée marche dans la plaine, aussi nombreuse que les feuilles de
la forêt ou les grains de sable de la mer. Hector, je t'en supplie, demande à
tes alliés de ranger leurs hommes en formation, et de partir pour la bataille.
»
Hector reconnut la voix de la déesse, et aussitôt il congédia
l'assemblée. Les
Troyens coururent
aux armes. Bientôt, en grand tumulte, l'armée troyenne et ses alliés
sortaient par les portes de la ville et gagnaient une butte dans la plaine.