Voici
l'histoire de la colère d'un homme, de tous les maux qu'elle
valut aux Grecs, et de tous
les héros qu'elle envoya, morts, chez Hadès.
Achille était cet homme, et sa colère s'enflamma
lors de sa querelle avec le grand roi Agamemnon. Il advint que les Grecs firent
prisonnière Chryséis, fille d'un prêtre d'Apollon, et elle fut donnée au roi
Agamemnon. Son père offrit pour elle une riche rançon, mais Agamemnon le
renvoya durement.
Le vieillard s'en alla, mais quand il eut atteint
le rivage, il invoqua Apollon et appela sa malédiction sur les Grecs.
Apollon descendit de l'Olympe, arc sur l'épaule et
carquois bien fermé. Il envoya
dans le camp des Grecs des flèches de maladie, tant et si bien que des bûchers
ne s'arrêtaient pas de brûler les cadavres, nuit et jour.
« Apollon est irrité, dit le devin des Grecs,
parce que la fille de son prêtre n'est pas retournée dans son pays. Il ne
cessera pas d'envoyer ses flèches funestes avant qu'elle ne soit de retour, et
que n'aient été faites les offrandes convenables. »
Alors Agamemnon se leva plein de rage.
« Que
la jeune fille soit donc rendue pour le salut de l'armée, dit-il. Mais je ne
serai pas frustré de ma récompense. Trouvez-moi un dédommagement, ou bien
j'enverrai des hommes à la baraque d'Ulysse ou d'Ajax ou d'Achille,
et je prendrai
pour moi
l'une de
leurs captives. »
« Cupide Agamemnon, répliqua Achille, je prendrai mes vaisseaux et
rentrerai chez moi, plutôt que de rester ici pour être insulté et entasser
pour toi des richesses. »
« Rentre chez toi avec tes vaisseaux et tes hommes, lui répondit
Agamemnon. Je ne te supplierai pas
de rester. Mais maintenant, pour te montrer qui
est le plus fort, j'enverrai prendre dans ta baraque la jeune Briséis,
qui est ta récompense. Ainsi, les autres sauront qu'il ne faut pas m'irriter de
la sorte. »
Ces mots frappèrent au cœur l'orgueilleux Achille. Il
interpella Agamemnon
en paroles
brutales.
« Sac à vin ! œil de chien et cœur de cerf !
Ecoute à présent ce serment solennel. Aussi sûrement que ce sceptre que je
tiens ne repoussera jamais plus, ne produira plus ni feuilles ni rameaux, tout
aussi sûrement le jour viendra où tous les Grecs regretteront Achille. Et
quand tes hommes tomberont par centaines sous les coups d'Hector le Troyen, tu
te frapperas la poitrine, dans ton dépit de ne pas avoir honoré le plus
vaillant des Grecs. »
A ces mots, Achille jeta par terre son sceptre aux clous d'or, puis
s'assit, tandis qu'Agamemnon lui jetait des regards furieux.
Après quoi, l'assemblée fut congédiée et
Achille, suivi de
ses hommes,
regagna sa
baraque et
ses vaisseaux.
Agamemnon
s'empressa de renvoyer Chryséis sur un bateau aux ordres d'Ulysse. Mais il
n'oubliait pas sa querelle avec Achille. Il dépêcha deux hérauts à la
baraque d'Achille, pour lui ramener Briséis.
Quand les hommes eurent emmené Briséis en pleurs,
Achille, la mort dans l'âme, se retira au bord de la mer. Et il appela sa mère,
Thétis, la nymphe marine, qui était assise auprès de son père, le dieu de la
mer. Elle sortit des eaux, comme une vapeur, vint s'asseoir à côté d'Achille
et le caressa de sa main.
« Mon enfant, lui dit-elle, pourquoi pleures-tu ?
Parle-moi sans détour, afin que je puisse partager ton chagrin. »
Aussi, quoique la déesse connût toute chose, Achille lui raconta ce qui
lui était arrivé ce jour-là.
«Va trouver Zeus, lui demanda-t-il quand il eut
fini son histoire. Prends-lui les genoux, et persuade-le, si tu peux, d'aider
les Troyens et de refouler
vers leurs vaisseaux les Grecs décimés. Cela montrera à Agamemnon
quelle fut sa folie d'insulter son meilleur guerrier. »
Thétis s'éleva aussitôt vers le ciel. Là, elle trouva le père des
dieux assis à l'écart sur le plus haut sommet de l'Olympe. Elle s'accroupit à
ses pieds et lui prit les genoux.
« Zeus père, lui dit-elle en suppliant, si jamais
je t'ai rendu quelque service, exauce le vœu que je fais. Honore mon fils qui
est destiné à mourir si jeune, et qui vient d'être insulté par Agamemnon.
Donne la victoire aux Troyens, jusqu'à ce que les Grecs rendent à Achille
l'honneur qui lui est dû. »
Zeus
soupira d'un air malheureux : «Voilà une fâcheuse affaire qui va me mettre en
conflit avec Héra, mon épouse. Elle prétend déjà que je favorise les
Troyens. Va-t'en avant qu'elle ne te voie. Mais d'abord, pour montrer que
j'accorde ta demande, j'inclinerai ma tête. »
Et,
au moment où Zeus inclinait sa noble tête en signe d'assentiment, tout
l'Olympe fut ébranlé.