L'Aéde et son public


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Un jour, il y a près de trois mille ans, un navire peint de brillantes  couleurs  entrait  dans  un  port du pays qui s'appelle maintenant la Grèce.

  Sur le pont du navire se trouvait un homme enveloppé d'un grossier manteau de poil de chèvre. Sous son manteau, il tenait une lyre finement ouvragée. C'était la chose la plus précieuse que possédât cet homme, qui était un aède errant. Il voyageait d'un endroit à l'autre, chantant des poèmes qui racontaient les exploits de héros célèbres.

  La nouvelle de son arrivée se répandit rapidement. Les premiers à en être informés furent les pêcheurs qui  raccommodaient  leurs filets  sur le  rivage.  Ils envoyèrent en hâte un jeune garçon à la ville qui était bâtie  sur  la  colline.  Il  appela  les  sentinelles  qui montaient la garde aux remparts :

 

" Un aède est ici, leur dit-il. Il arrive à l'instant de Smyrne, à bord d'un vaisseau rapide. "

  Les sentinelles crièrent la nouvelle dans les rues grouillantes de monde. Sur le seuil de leurs cabanes de pierre, les artisans qui travaillaient le cuir et le  métal  sourirent  en  tirant  leurs  aiguilles  et  en soulevant leurs marteaux.  Ils transmirent  le  message aux commerçants  et aux fermiers  de passage, rassemblés  sur la place  du marché au  centre  de la ville.

  Réunis ce jour-là sur la place pour décider de certaines lois, se trouvaient aussi les chefs de la ville, les hommes qui possédaient des terres. A leur tour, ils  apprirent  la  venue  de  l'aède.  Ils  se  rendirent aussitôt auprès du roi de la ville qu'ils trouvèrent assis sur son banc de pierre sculptée.

  Peu de temps après, le roi annonça qu'il donnerait un banquet à son palais, au sommet de la colline. Tout le monde était invité à prendre part au festin et à venir écouter le chant de l'aède.

  Des esclaves se mirent à préparer le repas. C'étaient les habitants de villes conquises, ou les femmes et les enfants de soldats ennemis tués au combat. Ils firent rôtir la viande sur des broches, emplirent des corbeilles de pain, mélangèrent du vin avec de l'eau et des épices.

  Quand tout fut prêt, l'aède fut installé à la place d'honneur : un siège recouvert d'un tapis épais et moelleux. Et, après le festin, il accorda sa lyre et commença à chanter. C'étaient de très longues histoires qui étaient chantées et non pas récitées :.des histoires d'hommes et de dieux, de guerres et d'aventures, où la réalité se mêlait à la légende.

  A cette époque même,  les histoires  étaient déjà vieilles.  Elles  n'avaient jamais été écrites,  car il n'y avait pas de livres en ce temps-là. Mais un aède les apprenait de la bouche d'un autre aède,  et elles restaient ainsi vivantes pendant des centaines d'années.

  Les dieux tenaient autant de place que les hommes dans ces histoires. Les hommes d'autrefois vivaient proches de la nature et ils croyaient que tout dans la nature était l'œuvre des dieux sous une forme humaine. Les arbres, les rivières, les vents, les mers, la. terre elle-même, tout avait ses dieux.

  Les dieux étaient commandés par Zeus, le dieu du ciel. Zeus parlait par la voix de la foudre. Dans son palais du mont Olympe, environné de nuages, les dieux s'assemblaient pour leurs banquets, tout comme les habitants  d'une  ville  s'assemblaient  au  palais  de leur roi.

  Zeus avait une femme jalouse, Héra, et de nombreux enfants. Parmi eux était le jeune Apollon, le dieu du soleil, et sa timide sœur jumelle, Artémis, déesse de la lune. Tous deux pouvaient frapper les hommes, en tirant sur eux des flèches de maladie. Il y avait encore Athéna, la plus intelligente des déesses, l'habile boiteux Héphaïstos, Déméter, déesse de la terre, et Poséidon, dieu de la mer.

  Les dieux ne pouvaient jamais mourir. Ils étaient capables de voler dans les airs, de changer de forme, et  même  de  se  rendre  invisibles.  Mais  ils  étaient changeants comme la nature. Un dieu pouvait aider un homme un jour et se tourner contre lui le lendemain. Aussi les hommes bâtissaient-ils des temples et des sanctuaires dans chaque ville, et faisaient-ils aux dieux des prières et des sacrifices. Et les aèdes ne manquaient jamais de parler des actions des dieux dans leurs histoires.

  Chaque aède racontait ses histoires à sa façon, et le plus grand d'entre eux fut Homère. Il fut un des meilleurs conteurs de tous les temps, et le premier dont le nom nous a été transmis dans l'histoire.

  Des hommes de tous les pays ont apprécié les récits d'Homère. En lisant l'Iliade, qui parle de la guerre de Troie, ils entendaient le cliquetis des armes, goûtaient la poussière du champ de bataille et voyaient de braves soldats se battre entre eux jusqu'à la mort. En lisant l'Odyssée, ils partageaient les aventures d'Ulysse, cet homme fort et ingénieux qui affronta hardiment les dangers terrifiants qu'il rencontra sur terre et sur mer.

  Aujourd'hui, des siècles après le temps où Homère chantait en s'accompagnant  de  sa lyre, l'Iliade  et l'Odyssée sont encore deux des plus grandes et des plus belles histoires qui aient jamais été racontées.